Crows Zero (I-II)

En se réappropriant l’univers culte du mangaka Horishi Takahashi ( Crows ), le réalisateur déjanté Takashi Miike ne livre pas une adaptation, mais plutôt une ré-interprétation sous forme de préquelle, du célèbre manga.
Avec une énergie furieuse, le diptyque de l’homme « aux mille films » relance sur la scène cinématographique la vague des bad boys from Asia et des bastons lycéennes iconoclastes cher à l’univers des mangas.

Crows Zero

(Japon 2007)
De Takashi Miike
Avec Shun Oguri, Kyôsuke Abe,
Takayuki Yamada,
Suzunosuke, Shunsuke Daitô,
Goro Kishitani, Kenichi Endo



Tout commence avec l’arrivée Genji Takaya à Suzuran , le lycée le plus dur et le plus violent du Japon. Dans cette fabrique de voyous, la réputation et l’avenir d’un élève se gagne par la force de ses poings, plutôt que par ses résultats scolaires. Sûre de lui Genji est bien décidé à accomplir ce qu’aucun élève n’a jamais réussi, devenir le numéro 1 de Suzuran.
Mais pour parfaire son ascension, Genji devra rallier les différents chefs de classe et faire ses preuves face à un public que plus rien n’impressionne.
Fort d’une armée assez puissante et d’une réputation affirmée, il pourra être en mesure d’affronter l’actuel monstre de l’école, Serizawa , qui est à deux doigts d’arriver au sommet.


A la suite d’un quiproquo ayant finit en bagarre, Genji va s’allier à Ken, sous fifre d’un gang de Yakusas , lui même ancien élève de Suzuran. Dès lors Ken voit en Genji la possibilité d’accomplir ce qu’il n’a jamais pu faire durant sa jeunesse, conquérir Suzuran et être respecté. Mais avec cet élan de liberté par procuration Ken commence peu à peu à s’affranchir des règles de sa famille mafieuse.


Ensembles ils attaquent les classes de terminale, tandis que Serizawa , tout d’abord observateur et philosophe, se voit contraint de défendre son autorité remise en question.

Loin d’être futiles, les conflits de Crows Zéro , dans cette opposition de personnalités, tendent surtout vers un seul but, l’émancipation.
Genji veut s’affranchir de l’autorité de son père lui aussi Yakusa , Ken retrouver les rêves de sa jeunesse gâchée dans l’ombre des autres et Serizawa, issu d’un milieu modeste, ramener sur un pied d’égalité les riches et les pauvres (en atteste son amitié avec Yu fils d’une famille aisée, ayant rejoint le gang).


Dans cette quête du pouvoir, il est question d’honneur, plutôt que de force. L’allégeance ne se gagne pas qu’avec ses poings, mais avec le charisme et le ralliement à des valeurs communes. Makise un des chefs de classe ne se soumet pas même vaincu, pour cela ses hommes le suive et le respecte. La victoire tient aussi dans la considération que l’on se fait de son adversaire.


Dans la peinture de ce microcosme lycéen improbable, tout entier voué à la castagne, Miike injecte plus que jamais son style et ses revendications libertaires. Ce qui pourrait paraître naïf au premier abord, est amené avec tellement d’énergie et de rage, que nous adopterons avec allégresse cette esthétique et ce discours exagérément rebelle. Le réalisateur n’est pas dupe, il adopte les codes du manga. Crows est un égarement de liberté et pour l’apprécier à sa juste valeur nous devons nous aussi nous affranchir de nos hésitations sociales.


Quant aux adultes me direz vous, plus que les faire valoir d’un film consacré à la jeunesse, ils restent les référents extrêmes, la mise en abyme du devenir des jeunes de Suzuran. Leur présence rappelle que cette soif de vivre est éphémère et que le passé ne se rattrape jamais. Le cri de liberté scandé par ce yakuza sonne alors comme un aveu dans les dernières minutes du film.


A la fois pathétiques, attachants et ridicules, flic et yakusa incarnent la responsabilité du monde adulte, mais aussi des choix extrêmes qu’ils se sont imposés, limitant d’ors et déjà les horizons de leur destin.


Attention Spoiler !

Alors profite et vit, car il vaut mieux s’accomplir maintenant que de rester spectateur de ses rêves à jamais.
A ce titre l’affrontement final devient une ode à la vie, ainsi qu’une mise au point avec soi même. Serisawa que l’on devine plus mature quant aux enjeux de Suzuran , passera le relais, heureux d’avoir trouver un adversaire à sa taille, mais surtout heureux de se sentir vivre sous cette pluie battante, pendant que son ami Yu lutte pour sa vie sur une table d’opération.
Serisawa abandonnera sa couronne de sang, conscient du prix de la vie et de son devenir, Genji a accomplit son destin, viendra le temps pour lui d’apprendre à le gérer.


Après Suzuran , après s’être bien battus, il sera temps pour nos héros de grandir, car la stagnation ou le dénie nous pousse irrémédiablement vers la fin.

Tout naturellement, Miike embraye sur l’opus 2, où chacun des protagonistes fera connaissance avec le doute et la mort (les armes blanches font leur apparition). Dès lors tous verront leurs certitudes être sérieusement ébranlées. La maturité ou la mort…

Suivant ce postula, Takeshi Miike nous dévoile une suite aussi dantesque que l’original. Mais la place des enjeux humains, la responsabilité et les conséquences des actes de chacun sont d’autant plus importants que les combats apparaissent plus rudes et plus violents.




Crows Zero II

(Japon 2009)
De Takashi Miike
Avec Shun Oguri, Kyôsuke Yabe, Meisa Kuroki, Nobuaki Kaneko, Haruma Miura, Sosuke Takaoka, Takayuki Yamada, Ryohei Abe, Shinnosuke Abe, Gou Ayano, Shunsuke Daitô, Kaname Endô, Ken’ichi Endô, Gorô Kishitani, Suzunosuke



Bien qu’ayant triomphé de Serisawa, Genji n’est pas encore le numéro 1 de Suzuran , il lui reste à vaincre le légendaire Rinda Man qui n’a que faire de ces guerres intestines. Enclavé dans son obsession, Genji délaisse les affaires du lycée et le devenir de ses troupes. Suzuran est à la dérive, tout n'est plus que désolation, chacun étant dans l’attente de cette unification promise de toutes les forces en présence. Le fragile équilibre est en train de se rompre et Suzuran paraît sombrer dans l'immobilisme. D'un œil fataliste Serisawa figé dans le même attentisme, observe ce qui s'apparente à la chute d'un Empire.


Chute précipitée par le retour de Kawanishi , ancien élève de Suzuran , fraîchement sorti de prison pour le meurtre de l'ancien chef du lycée Hosen, le concurrent direct de Suzuran en matière de castagne. Informé de sa libération les élèves de Hosen se lance à sa poursuite, Kawanishi se réfugie alors dans son ancien lycée. Genji loin de temporiser le conflit, décide de faire démonstration de son autorité en corrigeant l'un des lieutenants du lycée adverse. Ce geste impulsif et insolent va mettre fin à deux ans de trêve. Hosen menée par le charismatique Narumi Taiga déclare la guerre à Suzuran.


La confrontation de caractères bien trempés et de conceptions antinomiques donne à Crows Zéro II une dimension plus dramatique. Ainsi le comportement de Narumi , sorte de loubard dandy, attaché aux valeurs fraternelles et aux respect de la vie, met en exergue le comportement impulsif et violent de Genji responsable de l'éclatement de l'entité de Suzuran.


Conscient que pour ses personnages rien ne sera plus comme avant, Miike replonge de manière intrinsèque dans le passé de chacun, notamment le crime de Kawanishi et les échanges de coups mortels entre Suzuran et Hosen.


Dans cette fresque lycéenne, les rixes bien que moins nombreuses que dans le précédent, sont cette fois plus brutales et sanglantes. Face à des conséquences par le passé, tragiques, l’hésitation finit par l’emporter sur l’impulsion.


L'affrontement final, rituel inévitable, est non seulement un moment jouissif et virtuose pour les spectateurs que nous sommes (on ne voit pas moins qu'une centaine de figurants se foutre sur la gueule), mais surtout un ultime enseignement de la vie, sur la notion de communauté. L'égocentrique et solitaire Genji soutenus par les élèves de Suzuran tirera sa force du groupe et passera du statut de despote à celui de leader. Ensembles ils apprendront à encaisser et partager les blessures actuelles et à venir. De cette bataille sanglante, tous en sortirons grandis et pourront de nouveau avancer, laissant le passé et les rancœurs derrière eux.

Ce texte provient de whispering-asia, la copie intégrale est illicite!

Ong Bak 2 (2009) Official Trailer [HQ]

Ong Bak 2

ong bak 2

Ong Bak 2



Ong Bak 2
2008
Thaïlande

Un film de Tony Jaa
Avec Tony Jaa, Sorapong Chatree,
Sarunyu Wongkrachang, Nirut Sirichanya,
Santisuk Promsiri



Une fois de plus l’épuration artistique des distributeurs français nous fait la démonstration éloquente de son conformisme et de son manque d’ouverture ! Parmi les perles venues d’Asie, qui ne trouveront peut-être jamais le chemin des salles françaises, c’est au tour de Ong Back 2 de faire les frais de cette diaspora artistique dont les critères de sélection restent difficilement compréhensibles.

Sortie depuis 2008 dans le monde entier, Ong Bak 2 est donc déjà disponible en DVD et bien entendu en téléchargement sur le net. Ce qui compromet grandement la garantie de son succès sur nos écrans. Mais n’était-ce pas un peu voulu tout ça ?

Après le succès international du premier Ong Bak, Tony Jaa rempile cette fois en tant qu’acteur et réalisateur. Le jeune prodige prend ainsi les commandes de l'un des films les plus chers de l'histoire de la Thaïlande et nous offre une œuvre, certes, perfectible, mais bien plus sombre et épique que le premier opus dont elle n’a en commun que le nom.
Prenant pour toile de fond l’histoire de son pays. Tony Jaa plante l’action au cœur d’une jungle un peu anachronique de la Thaïlande du 15ème siècle. De part son cadre et son époque, Ong Bak 2 n’est donc pas une séquelle, mais un récit martial initiatique, barbare et merveilleux qui n’a plus rien à voir avec son prédécesseur, si ce n’est l’intensité et la folie de ses combats.

Tian est un jeune garçon rêvant de devenir comme son père, un guerrier fier et valeureux. Mais en ces temps troublés, le seigneur de guerre Lord Rajasena ravage la Thaïlande à la tête de sa puissante armée et le village de Tian n'est pas épargné, laissant l'enfant comme unique survivant du massacre.
Fait prisonnier par des marchands d'esclaves l'obligeant à affronter des crocodiles, ses talents naturels pour le combat amènent cependant Tian à être remarqué par Chernang, chef d'une bande de criminels, qui va le prendre sous son aile et l'élever comme son propre fils. C'est à dire dans le respect et la pratique des arts martiaux, sous toutes leurs formes. Un enseignement moral destiné à faire de Tian un guerrier accompli et l’héritier de son père spirituel. Tian est désigné comme le successeur au poste de chef de "l'Aile de Garuda", le groupe de bandits au sein duquel il a grandi. Mais avant de pouvoir accepter cet honneur, le jeune homme doit d'abord laver le sien et retrouver par conséquent l'assassin de ses véritables parents, même si pour cela il devra affronter les redoutables tueurs de Lord Rajasena.

De la vision d’Ong bak2, on retiendra surtout que le film de Tony Jaa a certainement souffert de ses ambitions. Sacrifié sur l’autel du montage, souffrant de sa générosité, Ong Bak 2 nous fait parfois ressentir ses limites (l’intrigue et le final complexes gagnent a être prolongés). Mais Tony Jaa parfaitement conscient de ses restrictions imposées par l’action, est allé à l'essentiel, laissant l’allégorie et l’interprétation prendre le pas sur le récit.
L’œuvre devient sous cet angle un véritable conte initiatique qui nous fait découvrir la beauté et la pureté des styles anciens. (Le Kung Fu du Sud et ses positions bases, le Chi et sa puissance, le Penkat Silack, le Kendo, le Muy Thaï of course et la boxe de l’homme ivre…).

« Héroïque fantasy thaï », le film impose un univers esthétique avec des décors naturels somptueux. Philosophie des arts martiaux, apprentissage de la forme et de l’esprit. Ong Bak 2 est un voyage dans monde merveilleux, violent et onirique, gorgé d’épreuves et d’imaginaire.


Le film nous promet dès lors plusieurs niveaux de lecture, mais encore faut-il en posséder les clefs pour pouvoir en saisir les subtilités et les messages. Malheureusement une partie du public occidental non initié, risque d’occulter cette dimension au profit de l’action.

Et de l’action il y en a, Ong Bak 2 sonne comme une hymne à la beauté des arts martiaux, mais c'est surtout dans la dernière demi-heure que Tony Jaa se lâche. On se croirait alors dans une espèce de jeu vidéo, où le héros enchaîne les adversaires, les armes et les paliers, jusqu’au boss de fin. Ludique, mais parfois un peu long…

Dans ces affrontements quasi-ininterrompus, Tian ira jusqu’a combattre ses doubles (dans les styles martiaux), jusqu’au final où en refusant le happy end de rigueur, Tony Jaa nous impose sa vision radicale, fataliste et pessimiste. Mais cette conclusion déstabilisante est sans doute la meilleure, puisqu’elle reprend les enseignements du karma et honore les paroles de son maître : Le meurtre et la compassion. (1)


Ong Bak 2 est donc la promesse partielle d’un film martial et épique, aux résonances karmiques improbables et impitoyables. En attendant un prophétique director-s cut en dvd, courez le voir au cinéma.

(1) Attention spoiler :

En élevant malgré lui son assassin Chernang fera preuve de rédemption.. Mais Tian se maudit et se perd dans sa soif de vengeance, il versera sans le savoir le sang de son clan d’adoption. D’où ce retour au village des pirates étrangement désert… . En affrontant ses doubles, tous masqués, Tian affrontait en réalité ses pères.
Ce texte provient de whispering-asia, la copie intégrale est illicite!

13 JEUX DE MORT



13 BELOVED
13 JEUX DE MORT

2006 Thaïlande
Un film de Chookiat Sakweerakul
Avec Krissada Terrence, Achita Wuthinounsurasit,
Sarunyu Wongkrachang, Nattapong Arunnate,
Alexander Rendel, Penpak Sirikul


La quête du bonheur est un marathon désespéré et sans fin, car elle se limite à la recherche du plaisir, de la possession et de la reconnaissance. Cette chimère aliénante peut alors pousser les acteurs de la vie vers la folie et l’individualisme le plus amoral.

Thriller et fable philosophique, 13 Beloved de Chookiat Sakweerakul, nous dépeint les coulisses d’une société moderne, toute culture confondue, pervertie par le pouvoir de l’image et l’appât du gain. Le film fait ainsi la démonstration par son jeu absurde et son engrenage atrocement fascinant, de l'absence de morale qui sommeil en chacun de nous. Dès lors, même le plus tranquille des hommes, pour peu qu’il soit exclu du système, peut être amené à commettre l’impensable.


C’est dans cette spirale de rejet et de frustration que nous découvrons, Puchit, fraîchement licencié, expulsé et saisi de sa voiture achetée à crédit. Ses économies évaporées, sa fiancée l’a quitté. Au bout du rouleau et tentant, malgré cette enchaînement de catastrophe, de sauver les apparences (sa famille compte sur lui pour subvenir à ses besoins), Puchit reçoit sur son portable un appel mystérieux. Son interlocuteur lui promet une récompense de 100 millions de bath (environ 2 millions d'euros) si il accepte de participer à un jeu comportant 13 épreuves. La première d'entre elles consiste à tuer la mouche posée à côté de lui ! Dubitatif, Puchit s’exécute, l’instant d’après son compte en banque est crédité de plusieurs milliers de bath !
Puchit réalise que ce jeu est donc tout sauf un canular, mais surtout que ses généreux donateurs connaissent tout de sa vie et épient ses moindres mouvements. Crédule Puchit finit par sauter le pas, d’autant que ce jeu ne semble pas si nocif que ça (du moins au début). La règle est simple, chaque pallier réussi lui rapportera de l’argent jusqu’à la cagnotte finale. Seulement en cas d’échec ou d'abandon, tous ses gains seront perdus.


Les épreuves se succèdent, mais deviennent de plus en plus extrêmes et illégales, cependant poussé par le besoin de renflouer son compte et d’aider sa famille, Puchit s'exécute avec l'énergie du désespoir et s’enfonce un peu plus dans un engrenage déshumanisant.

L'un des plus jeunes réalisateurs du pays, Chookiat Sakweerakul (25 ans), apporte un caractère universel à cette histoire (tirée d’une BD de Eakasit Thairatana), loin de vouloir donner des leçons, ce long-métrage thaïlandais, évoque et se ré approprie tout à la fois The Game et Saw, avec un surréalisme éclatant.





Véritable jouet de ses bienfaiteurs Puchit perd en humanité et discernement, au fur à mesure de sa progression. L’accumulation des catastrophes qui en découlent feront de lui un hors la loi, un être marginalisé, prompt à satisfaire les sensations d'un public voyeur.





Le postulat imaginé par Chookiat Sakweerakul est terrible et efficace car 13 Beloved est un film participatif. En effet dans cette mise en scène, à la fois décalée et immersive où le cynisme se met à côtoyer le glauque, le spectateur est amenée à anticiper avec angoisse les détails et les répercussions de chaque épreuve. Les intrigues parallèles collent parfaitement au récit (l’enquête de Police et les investigations de sa collègue) et donnent une dynamique supplémentaire au déroulement de l’action.



Démonstratif, Chookiat Sakweerakul cultive l’insensibilité et l’indifférence. Il faut voir le portrait de cette famille, dont le grand père est en train d’agoniser au fond d'un puits et vous mesurerez avec justesse l’égoïsme de notre société moderne. Du rire et de l’absurde on passe alors à la gêne et au malaise.


13 Beloved nous implique tous, spectateurs passifs et divertis, dans une spirale obscène et idéologique. L’ironie laisse peu à peu place à un malaise implacable et le sadisme atteint lui aussi son paroxysme Ce petit bijou machiavélique, doublé de sa critique acerbe, nous ferait presque regretter d’avoir été les témoins de tout ceci. Mais bien au delà de la leçon, s’est aussi un immense plaisir cinéphile dont on se souviendra longtemps.

Ce texte provient de whispering-asia, la copie intégrale est illicite!

Gran Torino



GRAN TORINO
de Clint Eastwood
USA 2009
Avec Clint Eastwood, Bee Vang, Cory Hardrict, Geraldine Hughes, Brian Haley, Dreama Walker, Brian Howe, Doua Moua, Sarah Neubauer, Nana Gbewonyo, Christopher Carley, John Anton, Austin Douglas Smith






Anecdote

Pendant la projection d’un film, j’aime observer les réactions du public. Je scrute dans l’ombre de la salle, les visages, à la recherche d’un sourire, d’une larme ou de l’ennui… C’est là la magie du cinéma, partager une émotion, sans même se connaître. Ce soir là, le démiurge n’était autre que Clint Eastwood. Avec son style humble, direct et essentiel, Clint vient de fédérer plusieurs générations. De nos parents, au jeune public venu chercher sa dose d’adrénaline, tous en sont sortis comblés, émus, comme touchés par la grâce du Septième Art et de l’un de ses plus grand héros. Ce soir là toute la salle a pleuré. Quelle communion !

Tension et humour


Walt Kowalski est l’archétype du voisin acariâtre. Raciste, raccroché à ses souvenirs et aux fantômes de la guerre de Corée, il grommelle dans sa solitude, des griefs contre tous. Son quartier, ses voisins et même sa famille.


Veuf depuis peu, Walt s’enfonce dans son aigreur et attend la mort, avec ses bières, sa chienne Daisy, son fusil M-1et sa Gran Torino, son bien le plus précieux, qu’il a lui même monté lorsqu’il travaillait pour les usines Ford, pendant l’âge d’or de l’automobile. Nous sommes à Détroit, ancienne capitale de l’automobile qui aujourd’hui se meurt. Ville sinistrée du rêve américain, le chômage est élevé, les quartiers insalubres et gangrenés par les gangs.

Amer et pétri de préjugés, Walt observe avec mépris et agressivité son quartier, « son Amérique », aujourd’hui peuplée d'immigrés et de « vendus ». Lorsqu’une famille Hmong (Peuple du Sud de l’Asie) emménage à côté de chez lui, Walt éructe, gardant de se prévenir de toute tentative de sympathie de leur part. Un jour, sous la pression d'un gang, Thao un adolescent timide tente de lui voler sa précieuse Ford Gran torino... .


Celui-ci échoue et s’enfuit, victime de représailles par le gang, le jeune garçon ne doit son salut qu’à l’intervention musclée de Walt, parce que la bagarre a empiété sur sa pelouse ! En ayant fait face à cette bande, Walt devient malgré lui le héros du quartier et de toute la communauté Hmong. Sue, la sœur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Surmontant ses réticences, ce dernier confie au garçon des "travaux d'intérêt général" au profit du voisinage. C'est le début d'une amitié inattendue, qui changera le cours de leur vie. Et c’est aussi la naissance d’une famille improbable (« ces putains d’étrangers me comprennent mieux que ma propre famille » dixit Walt). Cependant la pression du gang et l’insécurité de la rue pèse de plus en plus sur Thao et Sue et Walt tentera de les protéger à sa manière.


Du haut de ses 79 ans, Clint nous livre dans cette plongée cinématographique de voisinage, son regard sur l’Amérique et la cohabitation entre les peuples. le racisme et les à priori sont abordés de manière frontale et en même temps tordus avec humour. Le monde a changé, l’Amérique a changé, à ce titre, Walt Kowalski est le dernier indien dans la ville. Un blanc parmi les immigrés (cf. la scène de sa visite chez le médecin de quartier). C’est un rétrograde rattrapé par son époque, mais les sourires effritant le marbre, Walt fera de cette nouvelle famille, la sienne, de ce nouveau monde, son combat, son idéal à défendre.


Mais la paix se défend t-elle au prix des armes et du sang ? Face à la violence, qu'elle réponse apporter ? Comment garder sa parcelle de pelouse en sécurité ? Bien des questions qui pourraient donner suite à un débat cinglant. Mais Clint préfère laisser ce questionnement moral et politique en suspend, au profit de l'humanité de ses héros.

N’allez pas taxer Gran torino, pour ce qu’il n’est pas : un vigilente movie, un film réac. Gran Torino est tout le contraire, une œuvre touchante et humaniste. Bien plus émouvant qu’il est pour Clint Eastwood un film testament.

Confessions d'un artiste

Avec Gran Torino, Clint nous plonge au cœur d'une Amérique pleine de contrastes, il dresse le portrait d'un homme entier, avec ses contractions idéalistes et politiques. Qui est Walt ? Un réac attendri ? un justicier au vieux fusil… ? Très habile, l’acteur réalisateur balaye toutes ces étiquettes, parce que Walt Kowalski est à la fois un ersatz de tout cela et en même temps son contraire. Il est simplement un homme sur qui tous ont collé l’image d’un héros. De ce statut « de héros » Clint en a pleinement conscience et Gran Torino est l’occasion d’une mise au point avec son public. Confession humaine et artistique, Clint embrasse tous les rôles de sa vie, évoquant à la fois sa personne (son âge, son inéluctable mortalité) que son personnage stéréotypé à outrance.


Gran Torino est une réflexion sur la solitude, un constat lucide sur le mythe du héros et de la vieillesse. Un homme prisonnier de sa violence ne peut trouver l'absolution que dans la mort.

Clint nous offre ainsi son intimité, ainsi que ses valeurs (Walt choisira Thao pour fils spirituel). Dans sa représentation de la vieillesse, Clint ne s'épargne pas, on le voit ainsi en jogging, malade, courbatus, etc. Son entourage veut le placer en maison de retraite, mais il n'est pas du genre à laisser les autres prendre des décisions à sa place.


Gran Torino est chant funèbre, une dernière danse et une célébration de la vie. L'icône se meurt, mais a besoin de passer le relais. Gran Torino est peut-être ainsi son dernier film, mais il reste avant tout une réflexion sur la mort et le lègue aux générations futures. Clint écrit sa légende de son vivant.


Respectant son intégrité et son message expiatoire jusque dans les dernières minutes, Clint apportera son alternative à la violence et à la violence de son (ses) personnages, avec un final qui avorte toutes velléités catharsiques. Il manipulera ainsi le schéma du "film vigilante", le prenant à contre pied.
Par cet acte ultime Clint a sauvé notre âme, en même temps que l’avenir de Thao.


Avec Gran Torino, Clint nous prouve encore avec talent que l’âge et le temps n’entament en rien la volonté d’un homme et sa capacité de changer.

Ce texte provient de whispering-asia, la copie intégrale est illicite!

The Warlords




Les Seigneurs de la Guerre
Tou Ming Zhuang
Chine 2005
De Peter Chan Ho-Sun
Avec Andy Lau, Jet Li, Takeshi Kaneshiro, Xu Jing Li
Durée : 2h07




Honneur et déclin







Le tribut de la guerre pour les affamés. Et l’obstination meurtrière d’un général déchu…



Fin 19ème siècle, la Dynastie des Qing est à l’agonie et la Chine se consume sur les cendres de ses guerres intestines.
Le peuple s’enfonce dans la misère. Le riz a prit le goût de la boue et de ses terres retournées par d’incessantes batailles.
Dans ce charnier de détresse et de violence, trois âmes fières, au caractère trempé et aux idéaux érodés, se rencontrent et se jurent fidélités, pour la renaissance d’un Empire en déclin.
Mais avec le temps et les manœuvres politiques dont ils feront l’objet, ses trois héros, verront leurs motivations et leurs tourments intérieurs bafouer leur pacte de sang.
Témoins hébétés de la furie du soldat Pang Qing-Yun (Jet Li) en proie à la fatalité son appétit. Il ne reste plus pour Zhao Er-Hu (Andy Lau) et Jiang Wu-Yang (Takeshi Kaneshiro), dont le temps est compté, qu’à accompagner dans une fuite guerrière et suicidaire, leur camarade que l’ambition a détruit.


Un titre… une morale




« Tou Ming Zhuang », est le titre original de cette histoire d’hommes au cœur de l’Empire Mandchou, un titre autrement plus significatif car issu d’une expression populaire signifiant : « prouver son engagement ». Depuis : « Tou ming zhuang » est synonyme de rite d'intégration dans le langage des sociétés secrètes (autrement dit : un acte qui forge le respect...). Il ne sera donc pas surprenant de voir nos trois héros agir avec excès tout au long de leur périple. Ainsi dans leur première bataille, Jiang l’intrépide et fidèle bras droit de Er-Hu, ira dans une charge téméraire allez chercher la tête d’un chef de guerre. Pang pour prouver son indéfectible engagement exécutera froidement un prisonnier : « n’oublie pas mon visage, tu te vengeras dans ta prochaine vie ! »


Voici donc la cruauté de cette vie, le vrai visage de la guerre, que même de vaines croyances « karmiques » ne parviendront à adoucir.


Par cette rencontre qui n’aurait jamais du avoir lieu et ce serment prêté un peu trop rapidement, ils seront frappés du sceau de la fatalité. Car celui qui trahi sa parole est voué à la mort de son âme, ce qui signifie en ce bas monde une mort bien réelle. Ces dilemmes moraux, Ces ambivalences poétiques et cette démesure typiquement chinoise, rappellent à notre souvenir ému, les paroles de Pang : « A cette époque mourir était facile, c’était vivre qui était difficile »


La valeur d’un homme se mesure par ses actes et à sa parole, pas à ses émotions. Les émotions sont comme le feu qui embrase la poudre. Certes le film joue la carte du premier degré, mais c’est cette naïveté touchante, qui fait battre notre cœur un peu plus fort et redonne du sens au mot « épique ».

Froid comme la mort…

Dès les premières minutes, le film Peter Chan donne le ton, il n’y a que peu de différences entre les morts et les vivants. Nous découvrons le chaos et la barbarie des restes d’un champ de bataille silencieux et jonchés de cadavres, sous lesquels Pang général défait qui a feint la mort, émerge tel un fantôme, un spectre brisé sur le point vaciller.


Dans son errance honteuse, Pang blessé sera recueilli par une jeune femme (Xu Jing Li) qui n'est autre que la compagne du chef d'un groupe de brigands, le charismatique Zhao Er-Hu. Mais l’amour n’obtient que peu de place dans la folie des hommes. Bien qu’amoureuse de Pang, Xu Jing Li a choisi Er-Hu pour des besoins alimentaires, mais aussi parce qu’il est un homme bon, honorable et sincère… . Au grand damne de notre général meurtri.


Très éloigné des canons esthétiques d’un Zhang Zimou (Hero, La Cité Interdite), Les Seigneurs de la Guerre se veut la peinture sordide d’un pays ravagé. Les paysages, les costumes… tout est sombre, usé par la faim et le malheur. Les hommes sont des spectres vivants, affamés et tourmentés. Le gris du deuil domine les foules et les décors, comme si les couleurs de la vie avaient définitivement quitté ce monde.
Tout ceci n’est pas sans nous rappeler la barbarie de The Blade, œuvre culte et chaotique de Tsui Hark. Mais le côté onirique s’est envolé, laissant place à une réalité bien plus crasse, une tragédie chinoise où la fatalité pèse sur les hommes de tout son poids, comme ces nuages sombres chargés de pluie, omniprésents pendant la quasi totalité du film.


Dans ces stratégies guerrière impitoyables, ne peuvent survivre les âmes tourmentées… . Ainsi ses guerres fratricides plongèrent l’Empire du Milieu dans le déclin. Pang, Er-Hu et Jiang incarnent malgré eux l’allégorie de cette déchéance, les derniers vestiges d’une chine héroïque.

Tragédie fraternelle, souffle guerrier, et duplicité politique…


« Comme bandits, nous devons être les plus grands.» Zhao Er-Hu

Chaque victoires éloignent un peu ces trois frères plus, Pang se rapproche de la cour et des cruelles antichambres du pouvoir, tandis que Er-Hu s’éloigne dans la disgrâce d’un monde dans lequel il ne se reconnaît plus. Le fossé se creuse et Jiang se voit partagé entre ses deux amis que la fourberie politique, des proches de l’Impératrice, a conduit à leur perte. Voici le temps des sacrifices, sur l’autel de l’ambition, voici le temps de l’amertume.


Apothéose allégorique de cette désillusion, la prise de la tant convoité Nanjing est célébrée sous la pluie et le froid, une pluie de regrets. Que reste-t-il de ces trois amis tiraillés de l’intérieur, de leur honneur, face à tant d’intrigues, tant de conflits d’intérêts. Ils le savent, celui qui trahit sa parole est voué à mourir.


A ce titre, la séquence de l’Opéra Chinois interprétée par les saltimbanques lors du repas de Er-Hu, est d’une éloquente révélation, une mise en abyme ironique de la profonde souffrance de ses héros. Les chants des poètes, récits « mensongés », viennent mettre à nue la tragédie nichée au fond de leurs cœurs. Er-Hu est un homme entier rongé par le chagrin et qui déjà se meurt. Pang (Jet Li est vraiment d’une noirceur abyssale) conscient de se trahir, n’est plus qu’un fantôme résigné à son sort et à son ambition.


Que les fans de wu xia pian se rassurent, l’âpreté des combats et l’habilité des guerriers, combleront allègement leurs attentes. Mais bien plus encore c’est tout le romanesque chinois qui se voit revisité avec une crudité à la fois épique et lucide. The Warlords est une œuvre à cheval entre tradition et modernisme.

The Warlords est donc le récit des Derniers Hommes, ceux d’une Chine grandiose et fière. Mais le pays, comme ses héros, ne survivra pas à la transition de cette nouvelle époque. Sous une pluie de regrets, le film parachève son serment impossible. La lame d’un poignard ensanglanté se dresse vers les cieux, comme pour invoquer ces Dieux qui les ont tous abandonnés. Abandonnés une Chine dépassée par ses ambitions, gangrenée par sa corruption… Voici ce qu’elle fut et voici ce qu’elle sera : un jouet politique et l’enjeu de forces extérieures (Japon, Europe, Etats-Unis) qui la pilleront impunément pendant plus d’un demi siècle.

En ayant assassiné ses derniers héros la Chine décadente avait ouvert ses portes aux étrangers.
Ce texte provient de whispering-asia, la copie intégrale est illicite!