The Warlords




Les Seigneurs de la Guerre
Tou Ming Zhuang
Chine 2005
De Peter Chan Ho-Sun
Avec Andy Lau, Jet Li, Takeshi Kaneshiro, Xu Jing Li
Durée : 2h07




Honneur et déclin







Le tribut de la guerre pour les affamés. Et l’obstination meurtrière d’un général déchu…



Fin 19ème siècle, la Dynastie des Qing est à l’agonie et la Chine se consume sur les cendres de ses guerres intestines.
Le peuple s’enfonce dans la misère. Le riz a prit le goût de la boue et de ses terres retournées par d’incessantes batailles.
Dans ce charnier de détresse et de violence, trois âmes fières, au caractère trempé et aux idéaux érodés, se rencontrent et se jurent fidélités, pour la renaissance d’un Empire en déclin.
Mais avec le temps et les manœuvres politiques dont ils feront l’objet, ses trois héros, verront leurs motivations et leurs tourments intérieurs bafouer leur pacte de sang.
Témoins hébétés de la furie du soldat Pang Qing-Yun (Jet Li) en proie à la fatalité son appétit. Il ne reste plus pour Zhao Er-Hu (Andy Lau) et Jiang Wu-Yang (Takeshi Kaneshiro), dont le temps est compté, qu’à accompagner dans une fuite guerrière et suicidaire, leur camarade que l’ambition a détruit.


Un titre… une morale




« Tou Ming Zhuang », est le titre original de cette histoire d’hommes au cœur de l’Empire Mandchou, un titre autrement plus significatif car issu d’une expression populaire signifiant : « prouver son engagement ». Depuis : « Tou ming zhuang » est synonyme de rite d'intégration dans le langage des sociétés secrètes (autrement dit : un acte qui forge le respect...). Il ne sera donc pas surprenant de voir nos trois héros agir avec excès tout au long de leur périple. Ainsi dans leur première bataille, Jiang l’intrépide et fidèle bras droit de Er-Hu, ira dans une charge téméraire allez chercher la tête d’un chef de guerre. Pang pour prouver son indéfectible engagement exécutera froidement un prisonnier : « n’oublie pas mon visage, tu te vengeras dans ta prochaine vie ! »


Voici donc la cruauté de cette vie, le vrai visage de la guerre, que même de vaines croyances « karmiques » ne parviendront à adoucir.


Par cette rencontre qui n’aurait jamais du avoir lieu et ce serment prêté un peu trop rapidement, ils seront frappés du sceau de la fatalité. Car celui qui trahi sa parole est voué à la mort de son âme, ce qui signifie en ce bas monde une mort bien réelle. Ces dilemmes moraux, Ces ambivalences poétiques et cette démesure typiquement chinoise, rappellent à notre souvenir ému, les paroles de Pang : « A cette époque mourir était facile, c’était vivre qui était difficile »


La valeur d’un homme se mesure par ses actes et à sa parole, pas à ses émotions. Les émotions sont comme le feu qui embrase la poudre. Certes le film joue la carte du premier degré, mais c’est cette naïveté touchante, qui fait battre notre cœur un peu plus fort et redonne du sens au mot « épique ».

Froid comme la mort…

Dès les premières minutes, le film Peter Chan donne le ton, il n’y a que peu de différences entre les morts et les vivants. Nous découvrons le chaos et la barbarie des restes d’un champ de bataille silencieux et jonchés de cadavres, sous lesquels Pang général défait qui a feint la mort, émerge tel un fantôme, un spectre brisé sur le point vaciller.


Dans son errance honteuse, Pang blessé sera recueilli par une jeune femme (Xu Jing Li) qui n'est autre que la compagne du chef d'un groupe de brigands, le charismatique Zhao Er-Hu. Mais l’amour n’obtient que peu de place dans la folie des hommes. Bien qu’amoureuse de Pang, Xu Jing Li a choisi Er-Hu pour des besoins alimentaires, mais aussi parce qu’il est un homme bon, honorable et sincère… . Au grand damne de notre général meurtri.


Très éloigné des canons esthétiques d’un Zhang Zimou (Hero, La Cité Interdite), Les Seigneurs de la Guerre se veut la peinture sordide d’un pays ravagé. Les paysages, les costumes… tout est sombre, usé par la faim et le malheur. Les hommes sont des spectres vivants, affamés et tourmentés. Le gris du deuil domine les foules et les décors, comme si les couleurs de la vie avaient définitivement quitté ce monde.
Tout ceci n’est pas sans nous rappeler la barbarie de The Blade, œuvre culte et chaotique de Tsui Hark. Mais le côté onirique s’est envolé, laissant place à une réalité bien plus crasse, une tragédie chinoise où la fatalité pèse sur les hommes de tout son poids, comme ces nuages sombres chargés de pluie, omniprésents pendant la quasi totalité du film.


Dans ces stratégies guerrière impitoyables, ne peuvent survivre les âmes tourmentées… . Ainsi ses guerres fratricides plongèrent l’Empire du Milieu dans le déclin. Pang, Er-Hu et Jiang incarnent malgré eux l’allégorie de cette déchéance, les derniers vestiges d’une chine héroïque.

Tragédie fraternelle, souffle guerrier, et duplicité politique…


« Comme bandits, nous devons être les plus grands.» Zhao Er-Hu

Chaque victoires éloignent un peu ces trois frères plus, Pang se rapproche de la cour et des cruelles antichambres du pouvoir, tandis que Er-Hu s’éloigne dans la disgrâce d’un monde dans lequel il ne se reconnaît plus. Le fossé se creuse et Jiang se voit partagé entre ses deux amis que la fourberie politique, des proches de l’Impératrice, a conduit à leur perte. Voici le temps des sacrifices, sur l’autel de l’ambition, voici le temps de l’amertume.


Apothéose allégorique de cette désillusion, la prise de la tant convoité Nanjing est célébrée sous la pluie et le froid, une pluie de regrets. Que reste-t-il de ces trois amis tiraillés de l’intérieur, de leur honneur, face à tant d’intrigues, tant de conflits d’intérêts. Ils le savent, celui qui trahit sa parole est voué à mourir.


A ce titre, la séquence de l’Opéra Chinois interprétée par les saltimbanques lors du repas de Er-Hu, est d’une éloquente révélation, une mise en abyme ironique de la profonde souffrance de ses héros. Les chants des poètes, récits « mensongés », viennent mettre à nue la tragédie nichée au fond de leurs cœurs. Er-Hu est un homme entier rongé par le chagrin et qui déjà se meurt. Pang (Jet Li est vraiment d’une noirceur abyssale) conscient de se trahir, n’est plus qu’un fantôme résigné à son sort et à son ambition.


Que les fans de wu xia pian se rassurent, l’âpreté des combats et l’habilité des guerriers, combleront allègement leurs attentes. Mais bien plus encore c’est tout le romanesque chinois qui se voit revisité avec une crudité à la fois épique et lucide. The Warlords est une œuvre à cheval entre tradition et modernisme.

The Warlords est donc le récit des Derniers Hommes, ceux d’une Chine grandiose et fière. Mais le pays, comme ses héros, ne survivra pas à la transition de cette nouvelle époque. Sous une pluie de regrets, le film parachève son serment impossible. La lame d’un poignard ensanglanté se dresse vers les cieux, comme pour invoquer ces Dieux qui les ont tous abandonnés. Abandonnés une Chine dépassée par ses ambitions, gangrenée par sa corruption… Voici ce qu’elle fut et voici ce qu’elle sera : un jouet politique et l’enjeu de forces extérieures (Japon, Europe, Etats-Unis) qui la pilleront impunément pendant plus d’un demi siècle.

En ayant assassiné ses derniers héros la Chine décadente avait ouvert ses portes aux étrangers.
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