Légendes chinoises et Arts Martiaux

Si le kung fu m'était conté…

Jusqu'au milieu des années 90, le cinéma asiatique (Hong Kong en tête) nous a gratifié d'une déferlante de films survoltés et atypiques, de véritables OFNI en marge de tout ce que la production actuelle pouvait offrir, avec la volonté de se réapproprier les grands classiques et une furieuse envie de réinventer le genre du Wu Xia Pian.

A la poésie des contes du sabre, s'associe la fougue de récits faussement naïfs, au charme intemporel, baignant dans une atmosphère enchanteresse, où le kung fu est à la fois métaphore amoureuse, tragédie sociale ou fraternelle. Où la folie de la forme et du fond prennent le pas sur les grands classiques du roman chevaleresque chinois, osant mélanger les tons, passer de l'humour au larmes, de la contemplation à la frénésie. Faisant fi de tout soucis de réalisme et de conventions au profit du merveilleux et de l'expérimentation d'une liberté retrouvée.


Le cinéma de Hong Kong puise dans sa culture populaire : Opéra, Wu Xia Pian et Kung Fu Pian, tout en y mêlant certaines influences occidentales. De la tragédie shakespearienne, au vaudeville amoureux sur fond de magie et de prouesses martiales, c'est là l'inclassable magie du cinéma HK.


Wu Xia Pian et du Kung Fu Pian.
Cette vague de renouveau a été amorcée en 1979 par Tsui Hark avec Butterfly Murders, le "donjons et dragons chinois", où dans une forteresse assiégée par des papillons meurtriers, s'affrontent sur fond de whodunit, guerriers invincibles et amazones létales, le tout agrémenté de prises de vue improbables et percutantes.
Nul doute que Tsui Hark est l'inventeur du film d'action moderne made in HK. La deuxième salve fut ensuite tirée avec le cultissime et avant-gardiste Duel to death de Ching Siu-Tung qui révolutionne le genre du Wu Xia Pian avec des combats surréalistes, explosifs et virevoltants. Le film de Ching Siu-Tung est un condensé d'excentricités, mais comme son homologue Tsui Hark, il adopte un ton plus pessimiste et anti héroïque, laissant de côté la surcharge manichéenne et les excès de patriotisme des pellicules chinoises de l'époque.

Les deux hommes ont par la suite collaboré et sont responsables d'œuvres majeurs concernant la renaissance des genres. Tsui Hark en tant que producteur et Ching Siu-Tung en tant que réalisateur sur Histoire de Fantômes Chinois. Ce succès adapté du folklore littéraire chinois surviendra quelques années après l'échec commercial de Tsui Hark dans sa tentative de modernisation de l'héroic-fantasy à la chinoise avec Zu, les guerriers de la montagne magique.

Tsui Hark et Ching Siu-Tung font partie des instigateurs de la révolte visuelle du cinéma asiatique. Révolution qui verra son apogée dans les années 90, avec des étendards tels que : Il était une fois en Chine, L'auberge du Dragon, Le temple du Lotus rouge, the lovers, Blade of fury, le poison et l'épée, The magic crane, la trilogie Swordman et bien d'autres. Ces deux là, issus de la télévision Hongkongaise qui a l'époque offrait une liberté presque totale à ses metteurs en scène, ont ouvert la valve créatrice à toute une génération d’auteurs. Tsui Hark ira même jusqu'à créer sa propre société de production : la Film Workshop qui révéla des cinéastes majeurs de l'ex-colonie britannique comme John Woo, Ringo Lam, Yuen Woo-ping.


Cette effervescence sera naturellement réinjectée au grand écran avec la volonté de jouer avec les codes et les genres prédéfinis pour mieux les éclater en y insufflant bien souvent un réalisme social sous-jacent, saupoudré pour certains d'un humour potache typique de l’ancienne colonie britannique, le célèbre humour cantonnais (réservé aux seuls initiés !).

Ces auteurs, dont certains issus de la nouvelle vague, vont tour à tour se réapproprier les codes de l'industrie HK (polar, wu xia, kung fu, ghost movie...) et les mener à leur apogée au sein d’un cinéma libre et novateur. La mise en scène se veut inventive et nerveuse, proche de l'action et de ses personnages. Certains iront même jusqu'à qualifier cette nouvelle vague de néo Wu Xia Pian et néo Kung Fu Pian (tout comme le néo polar HK des années 80 et 90). Si bien que l'industrie cinématographique de HK deviendra durant ces années un joyeux melting-pot de tous les genres.

Emblématique de cette frénésie cinématographique (et notamment visuelle), les films d'heroic-fantasy et le Wu Xia Pian qui donnent sans complexes dans la surenchère, les héros possèdent des capacités martiales quasi surnaturelles (le pouvoir de voler…), les intrigues sont de plus en plus folles et décousues (dynasties obscures, eunuques conspirateurs, trahisons, faux semblants et triangles amoureux). Le rythme est trépidant, zooms rapides, visages en gros plan, travelling accéléré sur les sabres, longue focale, montage cut, contre plongées, bruitages folkloriques. Le tout dans des décors traditionnels réalistes et surréalistes à la fois.


Parfois même le Wu Xia Pian, se permet d'autres audaces stylistiques plus sensuelles et d'une beauté intemporelle : le duel saphique entre Maggie Cheung et Lin Ching-Hsia (Brigitte Lin) dans l'auberge du Dragon, la sensualité féérique de Green Snake. Et surtout une galerie de personnages hauts en couleurs, des propos poétiques et métaphoriques largement mis en valeur par des combats d’anthologie tous plus irréels

les uns que les autres. Tsui Hark, essentiellement lui, aura ouvert bien des voies et amorcé bien des renouveaux, notamment en dépoussiérant le kung fu pian via le célèbre Wong Fei Hong, avec les génialissimes "Il était une fois en Chine". Délires visuelles, chorégraphies improbables sur fond d'une Chine du 19ème siècle tiraillée entre tradition et modernité. De ce héros du peuple, Tsui Hark en fait un surhomme aux sentiments humains, infaillible en tant qu'artiste martiale, mais imparfait et maladroit en tant qu'homme (il faut voir le triangle amoureux dont le jeune maître est incapable de se sortir).

Vers le milieu des années 90, les sujets deviennent plus sombres, la mise en scène se veut plus réaliste, mettant en abyme le pessimisme ambiant au sein de Hong Kong à quelques années de sa rétrocession à la Chine. Tsui Hark notamment traduira cette angoisse dans une apogée formelle et thématique au cinéma de genre avec The Blade.

Curieusement ce fut le très beau et réussi Tigre et Dragon de Ang Lee qui enterra les velléités loufoques du genre. Affichant un classicisme trop léché et une distance malvenue avec le public asiatique. Avec le recul, on peut aisément avancer que Tigre et Dragon, a plus été pensé pour plaire aux occidentaux et aux différents festivals. Ce recul et cette volonté de se couper du genre était peut être due à une maladresse, un exercice intellectuel incompris de la part de Ang Lee, comme en témoigne cette scène éloquente où dans une auberge Zhang Ziyi corrige et ridiculise un florilège d'adversaires représentant la vieille école. Par delà l'expansion féminine légitime, cela sonnait également comme une scène d'adieux au cinéma kung fu d'antan. Par la suite les productions asiatiques, chapeauté par la Chine, décidèrent de surfer sur son succès et à l'instar de l'art contemporain prirent la mauvaise habitude "d'élitiser" leurs films.


C'est ainsi que débuta une vague insipide au sein du genre (Wu Ji, la Cité interdite, le secret des poignards volants). A partir des années 2000, le genre du Wu Xia Pian n'est plus un film de guerrier, mais un film de lettré, où la calligraphie supplante à l'épée, mais dont le ton et le style trop solennel et calculé lui enlève tout ce qui faisait son charme. Il faut se rendre à l'évidence, les flamboyantes productions de ces dix dernières années, avec leurs apparats aseptisés, leurs plans aériens et leurs ralentis tape à l'œil, font pâles figures devant ce que nous avons pu connaître. Désir de grandeur, de fastes (Hero, Fearless, la Cité interdite...), à l'image d'une Chine qui affiche sa réussite économique et désireuse de s'acheter une légitimité cinématographique après plusieurs décennies des débordements de sa péninsule rebelle.
Tout cela entraînera la mort du genre Wu Xia, la mort des genres (le néo polar, le kung fu pian), une mort due à des excès ce grandiloquence, des effets numériques mal appropriés et surtout l'absence de cette poésie naïve et archaïque qui faisait cohabiter l'œil et l'imaginaire.

Aujourd'hui Tsui hark tente de raviver la flamme (le magnifique Seven Swords), mais on attend toujours sa nouvelle révolution, son dernier métrage Dragon gate, la légende des sabres volants ayant laissé plus d'un dubitatif. Seul Donnie Yen (en producteur et chorégraphe avec Wu Xia et Ip Man) a su maintenir le charme et l'énergie d'une époque pas si lointaine. Croisons les doigts en attendant la prochaine révolution.