Petite anthologie du Wu Xia Pian Fantasy à l’attention des néophytes et des passionnés.

Autopsie d’un sous genre mésestimé.
Epéistes volants, eunuques tyranniques et magiciennes envoûtantes… le wu
xia pian fantasy émerveille autant qu’il déstabilise. Ses ingrédients
insolites se fondent dans des décors baroques aux costumes chatoyants et
les filtres des caméras repeignent d’une poésie ingénue les couleurs du
temps. Les combats en apesanteur défient les lois de la physique et le
découpage épileptique des séquences étourdissent la rétine.
Mais quels sont les secrets du wu xia pian fantasy ?

Le wu xia pian suscite l’intérêt du
public depuis les débuts de l’industrie du cinéma asiatique et
particulièrement à Hong Kong, dont l’indépendance et la particularité
culturelle autorisaient tous les excès. Il faut pour cela comprendre une
population qui, après avoir longtemps vécu sous un régime féodal, dût
s’exiler brutalement de ses campagnes. Après la seconde guerre mondiale,
l’archipel libéré de l’envahisseur nippon, retourne sous le drapeau Britannique et se verra frappé par une urbanisation rapide ainsi qu’une
migration importante de la population chinoise. La nature et la forêt
ayant toujours été source de mystères et de vénérations, les hongkongais
désormais confinés dans les villes et privés de cette stimulation
onirique, développeront un sentiment de nostalgie que seuls les films
d'aventures, wu xia pian en tête, parviendront à combler. Très vite, le
genre deviendra le fer de lance de l’industrie cinématographique
hongkongaise et les effets spéciaux, dont l’archaïsme suscite un
émerveillement naïf, mettront en avant l’étonnante vitalité des
productions locales. Car il ne faut pas oublier que le wu xia pian
hongkongais est autant un patrimoine culturel qu’une réponse à un besoin
de cinéma identitaire face à un voisin chinois formaté et menaçant.
Mais de quel wu xia pian parle-t-on ?

n’avaient donc rien de guerriers
surnaturels.
Par ailleurs, des réalisateurs renommés tels que Chang Cheh [2] et King Hu [3], se voulaient plus terre à terre. Le premier avait une approche violente et réaliste du genre, tandis que le second, véritable figure tutélaire du roman chevaleresque, en maitrisait parfaitement les codes zen et le classicisme littéraire.

Au fil des années, les chevaliers du wu xia pian vont à leur tour s’émanciper dans le surnaturel. Ainsi les performances martiales deviendront des pouvoirs soumettant la matière et les lois de la gravité. Néanmoins ceux-ci demeureront toujours le fruit d’un apprentissage en ce qui concerne les humains (comme le jeune Mokei dans Evil Cult).
L’étincelle avant la révolution

Là où le genre se posait comme contemplatif (notamment dans le cinéma de King-Hu), le wu xia pian moderne ne tolèrera désormais aucun temps mort.
Le neo wu xia pian : redéfinition et (re)naissance d’un genre
1992, Swordsman 2, remake de clan of intrigues de la shaw
brothers, officiellement réalisé par Ching Siu-tung mais supervisé par
Tsui Hark, ouvre la voie à l’engouement populaire pour le wu xia pian
fantastique moderne. Le choc visuel est énorme et le succès au
rendez-vous. Dans son sillage de nombreuses productions verront le jour
de 92 à 94, c’est l’avènement du neo wu xia pian !
Des récits fondés sur le mouvement et la rapidité
Les wu xia pian des années 90 continuent de revisiter les légendes locales, la littérature chinoise et les grands classiques du cinéma, tout en y apportant des expérimentations visuelles révolutionnaires : découpage extrêmement rapide des séquences, chorégraphies aux allures de manga live… . Les bases esthétiques (et mêmes scénaristiques) sont définitivement redéfinies et les grands courants philosophiques se revisitent dans un modernisme anarchique et poétique. Le confucianisme par exemple, où la relation maître disciple est parfois joyeusement renversée. Dans le Temple du Lotus rouge de Ringo Lam le jeune Fong Sai-Yuk passe son temps à secourir son maître. Il y a aussi cette tendance à rire du sacré et ses déviances sectaires. Dans Evil cult de Wong Jin, la none pourfendeuse de freaks, n’est en réalité qu’un être frustré, dont la chasteté, certainement choisie par dépit, se transgresse à travers le seul orgasme qu’elle puisse atteindre, celui de la violence. Autre exemple avec Green snake de Tsui Hark, où l’intolérance religieuse est ici clairement mise à mal à travers le personnage de Chiu Man Chuk : un moine bouddhiste tiraillé par ses sens et conscient de sa propre imposture.
Mélange des genres et rupture de tons

La part des lionnes
Si les femmes étaient déjà à l’honneur dans les wu xia pian d’antan (Chang Pei Pei en fut longtemps l’égérie) elles seront désormais un des ressorts principaux du genre. Leur sensualité naturelle revêtant dans ce contexte un atout quasi surnaturel. Qu’elles soient déesses, fantômes, dominatrices matriarcales, ou guerrières androgyne, elles traversent l’écran à travers soies et aciers de leurs charmes envoûtants. Cet intérêt tant narratif qu’esthétique, pouvant même aller jusqu’à la dérive saphique, comme ce duel entre Lin Chin Hsia [4] et Maggie Cheung, dans l’Auberge du Dragon, où l’une sortant de son bain déshabille l’autre pour se couvrir.

1995, la fin de l’euphorie


Filmographie non exhaustive :
- Jiang-Hu (The Bride with white hair) (1993) de Ronny Yu
- Jiang-Hu 2 (1993) de David Wu
- A Chinese odyssey (1995) de Jeff Lau
- Le temple du lotus rouge (1994) de Ringo Lam
- The magic crane (1993) de Benny Chan
- The moon warriors (1992) de Sammo Hung
- La trilogie swordsman (90-92-93) respectivement realisée par King Hu, Ching Siu-Tung, Raymond Lee
- L’auberge du Dragon (1992) de Raymond Lee
- Green Snake (1993) de Tsui Hark
- Evil Cult (1993) de Wong Jin et Sammo Hung
- Duel to the death (1983) de Ching Siu-tung
- Zu, les guerriers de la montagne magique (1983) de Tsui Hark
- The Blade (1995) de Tsui Hark
- Flying Dagger (1993) de Chu Yen-Ping
- Butterfly and sword (1993) de Michael Mak
- La succession par l’épée (1992) d’Eric Tsang
- Le poison et l’épée (1993) de Poon Man Kit
- Deadly melody (1994) de Mg Min Kan
- Eagle shooting heroes (1993) de Jeffrey Lau
[1] Le wu xia pian pourrait se traduire ainsi : wu (martial), xia (chevalier errant) et pian (film)
[2] Chang Cheh, incontournable réalisateur hongkongais des studios de la Shaw Brothers à qui l’on doit entre autre le cultissime « one armed swordsman » alias « un seul bras les tua tous ».
[3] King Hu, en fin lettré confère au wu xia pian une certaine rigueur historique et apportera au genre une dimension aussi spirituelle que romanesque. Esthète et perfectionniste, il s’exilera à Taïwan, afin de bénéficier d’une plus grande liberté artistique pour la direction de ses œuvres.
[4] Actrice Taïwanaise, également connue sous le nom de Brigitte Lin. Sans doute le visage le plus célèbre des wu xia pian des années 80 et 90.
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Deadly melody Dans le pur esprit des productions des années 90, le film de Mg Min Kan laisse peu de place à la bienséance et au réalisme. Une lyre magique aux pouvoirs destructeurs (les corps explosent sous les mélopées de l’instrument) est l’enjeu d’une guerre entre différentes écoles d'arts martiaux. Trahisons et embuscades s’enchaînent à un rythme soutenu, accompagnées comme toujours d’une belle photographie. |
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Eagle shooting heroes Tout ce qui compose le genre est ici passé à la moulinette de l’improbable humour cantonais. Les acteurs (par ailleurs figures de proues romanesques du wu xia pian des années 90) se prêtent au jeu de cette parodie sous acides. |