Petite anthologie du Wu Xia Pian Fantasy à l’attention des néophytes et des passionnés.
Après un premier essai publié sur ce blog en 2013, retour sur le wu xia pian fantasy [1].
Autopsie d’un sous genre mésestimé.
Epéistes volants, eunuques tyranniques et magiciennes envoûtantes… le wu
xia pian fantasy émerveille autant qu’il déstabilise. Ses ingrédients
insolites se fondent dans des décors baroques aux costumes chatoyants et
les filtres des caméras repeignent d’une poésie ingénue les couleurs du
temps. Les combats en apesanteur défient les lois de la physique et le
découpage épileptique des séquences étourdissent la rétine.
Mais quels sont les secrets du wu xia pian fantasy ?
Tout comme son homologue traditionnel, il prend pour cadre une Chine
médiévale plus ou moins fantasmée et puise dans la source intarissable
de ses légendes locales. Comprendre le wu xia pian revient donc à le
comparer à son homologue occidental "l’héroic-fantasy", comme les mythes
arthuriens, les récits homériques de Robert E. Howard ou l’univers
particulièrement riche de JRR Tolkien. Bref, quand la nature humaine se
rêve et que le surnaturel croise le spirituel dans l’opposition
éternelle entre le Bien et le Mal.
Le wu xia pian suscite l’intérêt du
public depuis les débuts de l’industrie du cinéma asiatique et
particulièrement à Hong Kong, dont l’indépendance et la particularité
culturelle autorisaient tous les excès. Il faut pour cela comprendre une
population qui, après avoir longtemps vécu sous un régime féodal, dût
s’exiler brutalement de ses campagnes. Après la seconde guerre mondiale,
l’archipel libéré de l’envahisseur nippon, retourne sous le drapeau Britannique et se verra frappé par une urbanisation rapide ainsi qu’une
migration importante de la population chinoise. La nature et la forêt
ayant toujours été source de mystères et de vénérations, les hongkongais
désormais confinés dans les villes et privés de cette stimulation
onirique, développeront un sentiment de nostalgie que seuls les films
d'aventures, wu xia pian en tête, parviendront à combler. Très vite, le
genre deviendra le fer de lance de l’industrie cinématographique
hongkongaise et les effets spéciaux, dont l’archaïsme suscite un
émerveillement naïf, mettront en avant l’étonnante vitalité des
productions locales. Car il ne faut pas oublier que le wu xia pian
hongkongais est autant un patrimoine culturel qu’une réponse à un besoin
de cinéma identitaire face à un voisin chinois formaté et menaçant.
Mais de quel wu xia pian parle-t-on ?
Si
le wu xia pian est par essence fantastique avec, entre autre, ces héros
capables de "voler", il est important de distinguer le monde de la
fantaisie de celui de la chevalerie et donc ne pas confondre magie et
transposition cinématographique de ce que l’on nomme dans les arts
martiaux chinois, le "qinggang", c'est-à-dire : l’art du saut.
Poétiquement appelé kung fu de la légèreté, cette capacité décrite dans
de nombreux récits, consiste à sublimer les figures légendaires d’un
patrimoine historique afin de les inscrire durablement en tant que
mythes. Les chevaliers du wu xia pian,
n’avaient donc rien de guerriers
surnaturels.
Par ailleurs, des réalisateurs renommés tels que Chang Cheh [2] et King Hu [3], se voulaient plus terre à terre. Le premier avait une approche violente et réaliste du genre, tandis que le second, véritable figure tutélaire du roman chevaleresque, en maitrisait parfaitement les codes zen et le classicisme littéraire.
Puisque l’héroic-fantasy est donc le royaume du merveilleux, il n’est pas étonnant d’y croiser des créatures extraordinaires issues du folklore chinois (les femmes serpents dans Green Snake, le roi singe et son panthéon de créatures fantastiques dans A Chinese Odyssey). Et la frontière est mince entre le wu xia pian fantasy et son cousin la "Ghost Kung Fu Comédie" qui mélange kung fu et fantastique sur fond de comédie cantonaise (l'exorciste Chinois). Il serait même tentant de raccrocher à son wagon l’envoûtante trilogie des Histoires de Fantômes Chinois qui possède une imagerie similaire, mais qui, de part son esthétique romanesque, se rattache bien au film de sabre. Ce spectacle merveilleux précédant de 3 ans le premier Swordsman, est un condensé de romances, de folklores et de traditions (opéra chinois) où les histoires d’amour impossibles s’exorcisent à travers ballets aériens et duels cathartiques.
Au fil des années, les chevaliers du wu xia pian vont à leur tour s’émanciper dans le surnaturel. Ainsi les performances martiales deviendront des pouvoirs soumettant la matière et les lois de la gravité. Néanmoins ceux-ci demeureront toujours le fruit d’un apprentissage en ce qui concerne les humains (comme le jeune Mokei dans Evil Cult).
L’étincelle avant la révolution
Cherchant à sublimer voir repenser les codes stylistiques et thématiques du genre, certains réalisateurs commencent à expérimenter des formes plus audacieuses. Ainsi, Duel to the death de Ching Siu-tung, fut particulièrement marquant, puisqu’outre exalter cinématographiquement parlant la notion de qinggang dans un délire chorégraphique épique et poétique, le réalisateur adopte un discours particulièrement audacieux pour l’époque, dénonçant la vacuité des idéaux chevaleresques corrompus par les relents nationalistes Une seconde salve sera tirée peu de temps après avec Zu, les guerriers de la montagne magique de Tsui Hark, le plus chinois des réalisateurs vietnamiens. Biberonné au cinéma cantonais, son film est un hommage aux productions des années 50, mais surtout une expérimentation visuelle sans pareille. Métissant l’esprit chevaleresque des romans traditionnels, à l’iconographie des contes, il initie le début d’une révolution formelle.
Là où le genre se posait comme contemplatif (notamment dans le cinéma de King-Hu), le wu xia pian moderne ne tolèrera désormais aucun temps mort.
Le neo wu xia pian : redéfinition et (re)naissance d’un genre
1992, Swordsman 2, remake de clan of intrigues de la shaw
brothers, officiellement réalisé par Ching Siu-tung mais supervisé par
Tsui Hark, ouvre la voie à l’engouement populaire pour le wu xia pian
fantastique moderne. Le choc visuel est énorme et le succès au
rendez-vous. Dans son sillage de nombreuses productions verront le jour
de 92 à 94, c’est l’avènement du neo wu xia pian !
Des récits fondés sur le mouvement et la rapidité
Les wu xia pian des années 90 continuent de revisiter les légendes locales, la littérature chinoise et les grands classiques du cinéma, tout en y apportant des expérimentations visuelles révolutionnaires : découpage extrêmement rapide des séquences, chorégraphies aux allures de manga live… . Les bases esthétiques (et mêmes scénaristiques) sont définitivement redéfinies et les grands courants philosophiques se revisitent dans un modernisme anarchique et poétique. Le confucianisme par exemple, où la relation maître disciple est parfois joyeusement renversée. Dans le Temple du Lotus rouge de Ringo Lam le jeune Fong Sai-Yuk passe son temps à secourir son maître. Il y a aussi cette tendance à rire du sacré et ses déviances sectaires. Dans Evil cult de Wong Jin, la none pourfendeuse de freaks, n’est en réalité qu’un être frustré, dont la chasteté, certainement choisie par dépit, se transgresse à travers le seul orgasme qu’elle puisse atteindre, celui de la violence. Autre exemple avec Green snake de Tsui Hark, où l’intolérance religieuse est ici clairement mise à mal à travers le personnage de Chiu Man Chuk : un moine bouddhiste tiraillé par ses sens et conscient de sa propre imposture.
Mélange des genres et rupture de tons
Ironie, humour, prouesses narratives tournant parfois au délire. Ces ressorts dramatiques ponctués de revirement donnent un aspect serial au neo wu xia pian. Et chaque artisan y va de son expérimentation obsessionnelle voir de sa déstructuration : ambiguïté sexuelle, cadrages biscornus, séquences ultra rythmés, humour trivial… . Désormais les héros masculins pourront être naïfs, roublards, couards, obsédés, voir idiots. Face à eux, des femmes, plus intelligentes, plus belles, parfois cruelles ou héroïques.
La part des lionnes
Si les femmes étaient déjà à l’honneur dans les wu xia pian d’antan (Chang Pei Pei en fut longtemps l’égérie) elles seront désormais un des ressorts principaux du genre. Leur sensualité naturelle revêtant dans ce contexte un atout quasi surnaturel. Qu’elles soient déesses, fantômes, dominatrices matriarcales, ou guerrières androgyne, elles traversent l’écran à travers soies et aciers de leurs charmes envoûtants. Cet intérêt tant narratif qu’esthétique, pouvant même aller jusqu’à la dérive saphique, comme ce duel entre Lin Chin Hsia [4] et Maggie Cheung, dans l’Auberge du Dragon, où l’une sortant de son bain déshabille l’autre pour se couvrir.
Bien qu'exploitant des trames souvent similaires (vengeances, rébellions), le neo wu xia pian sait aussi se galvaniser de discours libertaires. Ainsi l’Auberge du Dragon s’agrémente d’une délectable parabole politique et stylistique. L’auberge (assimilée à Hong Kong et représentée par Maggie Cheung) fait ici figure de poste frontière entre la Chine totalitaire (l’eunuque et ses troupes) et Taïwan l’île rebelle (incarnée par Lin Chin Hsia). En outre, la dichotomie entre Maggie Cheung et Lin Chin Hsia, met en exergue deux conceptions du wu xia pian. L’une étant le contrepoint moderne et insolent des figures traditionnelles incarnées par la seconde
1995, la fin de l’euphorie
La rétrocession à la Chine étant désormais inéluctable, le cinéma hongkongais, comme conscient de sa finitude, remise peu à peu son audace au placard. Sombre augure des années à venir, les héros ne volent plus, mais tombent. De cette courte anthologie du neo wu xia pian, The Blade de Tsui Hark, marquera l’apogée, un regard lucide sur la fin de l’innocence et de l’insouciance au sein de l’industrie cinématographique cantonaise. Le rêve est brisé comme l’épée de son héros.
Surviendront de cette fusion avec le Continent, pléthores de tentatives désincarnées, incapable de ressusciter le genre. A l’image de ces films en costumes opulents, souvent impersonnels, plus attachés à montrer les capacités financières (figurants par millier, propagande nationaliste) de leurs producteurs, qu’une véritable vision artistique. Les effets spéciaux numériques souvent omniprésents sont maladroits, voir dégueulasses, quant aux chorégraphies, celles-ci ne font même plus illusions, enfonçant le spectateur dans un ennui abyssal. Heureusement de belles exceptions arrivent à s’extirper de ce charnier cinématographique, annonçant peut-être à travers le travail et l’amour de solides puristes cette énième renaissance tant attendue.
Filmographie non exhaustive :
- Jiang-Hu (The Bride with white hair) (1993) de Ronny Yu
- Jiang-Hu 2 (1993) de David Wu
- A Chinese odyssey (1995) de Jeff Lau
- Le temple du lotus rouge (1994) de Ringo Lam
- The magic crane (1993) de Benny Chan
- The moon warriors (1992) de Sammo Hung
- La trilogie swordsman (90-92-93) respectivement realisée par King Hu, Ching Siu-Tung, Raymond Lee
- L’auberge du Dragon (1992) de Raymond Lee
- Green Snake (1993) de Tsui Hark
- Evil Cult (1993) de Wong Jin et Sammo Hung
- Duel to the death (1983) de Ching Siu-tung
- Zu, les guerriers de la montagne magique (1983) de Tsui Hark
- The Blade (1995) de Tsui Hark
- Flying Dagger (1993) de Chu Yen-Ping
- Butterfly and sword (1993) de Michael Mak
- La succession par l’épée (1992) d’Eric Tsang
- Le poison et l’épée (1993) de Poon Man Kit
- Deadly melody (1994) de Mg Min Kan
- Eagle shooting heroes (1993) de Jeffrey Lau
[1] Le wu xia pian pourrait se traduire ainsi : wu (martial), xia (chevalier errant) et pian (film)
[2] Chang Cheh, incontournable réalisateur hongkongais des studios de la Shaw Brothers à qui l’on doit entre autre le cultissime « one armed swordsman » alias « un seul bras les tua tous ».
[3] King Hu, en fin lettré confère au wu xia pian une certaine rigueur historique et apportera au genre une dimension aussi spirituelle que romanesque. Esthète et perfectionniste, il s’exilera à Taïwan, afin de bénéficier d’une plus grande liberté artistique pour la direction de ses œuvres.
[4] Actrice Taïwanaise, également connue sous le nom de Brigitte Lin. Sans doute le visage le plus célèbre des wu xia pian des années 80 et 90.
Deadly melody Dans le pur esprit des productions des années 90, le film de Mg Min Kan laisse peu de place à la bienséance et au réalisme. Une lyre magique aux pouvoirs destructeurs (les corps explosent sous les mélopées de l’instrument) est l’enjeu d’une guerre entre différentes écoles d'arts martiaux. Trahisons et embuscades s’enchaînent à un rythme soutenu, accompagnées comme toujours d’une belle photographie. |
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Eagle shooting heroes Tout ce qui compose le genre est ici passé à la moulinette de l’improbable humour cantonais. Les acteurs (par ailleurs figures de proues romanesques du wu xia pian des années 90) se prêtent au jeu de cette parodie sous acides. |
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